Récits et Légendes de Venise

Les Sibylles à Venise

Les Sibylles sont un mélange de mythologies gréco-latines, souvent mises en parallèle avec les Prophètes (Michel Ange à la Chapelle Sixtine par exemple), et très souvent représentées (en peinture ou sculpture) dans les grandes églises à partir du 12ème siècle, sous la forme de belles femmes typées (certaines jeunes, d'autres vieilles, c'est curieux). On les trouve aussi bien en Bretagne qu'à Sienne sur les pavements de la cathédrale, ou encore mieux au plafond de la chapelle Sixtine.

Elles sont totalement absentes de la Bible car ce sont des païennes, prêtresses et prophétesses, vivant dans toutes les parties du monde, sous le contrôle d'Apollon. Mais magiquement, on en fera les annonciatrices de faits allant se dérouler des siècles plus tard et touchant directement l'arrivée, la vie et la résurrection de Jésus Christ. L'astuce consistait à dire que même chez les Païens, la Chrétienté et Jésus étaient, à travers les Sibylles, déjà annoncés et prouvés. En fait ces supposées prophéties sont très obscures, et Cicéron disait déjà qu'on pouvait en tirer n'importe quoi. Des livres délirants, recopiés avec ajouts et inventions, circulent au 3ème siècle, repris par Virgile, intégrés par Eusèbe de Césarée en 340 dans la débuts du christianisme en europe, et Saint Augustin plus tard. Elles sont 8, 9, 10, puis 12.

Le Concile de Trente en 1568 mit fin à ce mélange des genres, considérant qu’il s’agissait de fables récupérées au hasard des opportunités des pouvoirs religieux de l’époque pour évangéliser. Cela n'empêcha nullement leurs représentations de continuer à prospérer au gré des plaisanteries qu'aiment faire les grands peintres.

Il y en a beaucoup et partout dans Venise et dans la liste ci-dessous j'ai peur d'en avoir oubliées : dans Santa Maria del Giglio, San Francisco della Vigna (chapelle Dandolo), Zanipolo, San Moïse, Scuola dei Carmini, San Sebastiano, Scalzi, etc.

Rev3 23/11/2019

Flanc gauche des Scalzi (Cannaregio) : Lybica, Persica, Delfica.

Flanc droit des Scalzi (Cannaregio).

Zanipolo, Chapelle de la Vierge du Rosaire créée en 1582 (en souvenir de Lépante). De chaque côté les Sibylles (Cumes et Lybie à droite).

A gauche, Hellespont, mais petit doute.

Les Sibylles du Véronèse à San Sebastiano, ou celles de Giuseppe Porta (Il Salviati) à Santa Maria del Giglio sont magnifiques (Il Salviati en a peint une autre dans San Francesco della Vigna). (En passant, dans la chapelle Sixtine aussi il y en a 5 au plafond, peintes par Michel-Ange). Les sculptures de Meyring à San Moïse sont remarquables, celles de Giovanni Marchiori aux Scalzi sont splendides. On en trouve aussi à Zanipolo (Castello).

La salle des archives au premier étage de la Scuola dei Carmini est décorée au plafond par plusieurs Sibylles (images plus loin). Peintes par Menescardi, ce ne sont pas les plus réussies. Je confirme qu'il n'était pas doué pour les visages et, pire, n'ont aucun des attributs habituels qu'on leur donne généralement dans l'iconographie et la littérature. Bizarre non ?

Les Sibylles, leurs attributs et prophéties

Au-dessus de la statue centrale de Vicenzo Fini sur la façade de San Moïse (San Marco) figurent les statues de plusieurs Sibylles.

Sibylle d'Erythrées (en Ionie) (Hérophilé)

Elle tient un rameau fleuri, et prophétise l'Annonciation car elle a proclamé qu'une Vierge doit enfanter, mais aussi on lui prête ces paroles : "Ils entoureront le bouc, ils profaneront Byzance" (c'est peu dire …)," ils fouilleront les maisons disperseron les dépouilles. Un nouveau bouc bêlera" … (l'empire byzantin est découpé, Venise se prend la part du lion, toutes les richesses dont les chevaux et d'autres trésors ou sculptures remontent à Venise, Dandolo est nommé duc du tiers de l'ex-empire, et meurt en juin 1205 à 97 ans, il est enseveli à Saint Sophie).

C'est la raison pour laquelle dans la chapelle Dandolo à San Francesco della Vigna (Castello), sur le mur du fond à droite, on peut voir Hérophilé qui prédit la gloire et la fin du Doge Dandolo (Giuseppe Porta dit Il Salviati, 1570).

Giustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

De même au Frari (San Polo), à gauche de la tombe du Titien, le retable de la Présentation de Jésus au Temple, avec à droite Hérophilé. Dans l'église San Sebastiano (quasi-entièrement peinte par le Véronèse), Samia à droite.

Hérophilé à San Sebastiano (partie gauche). (Le Véronèse, 1558).

Sibylle de Lybie (Elissa, fille de Zeus et de la nymphe Lamia) : tient un cierge allumé, prophétise l'avènement du Christ et aussi, avec trois clous, la Passion.

Sybille de Lybie aux Scalzi.

Par Giustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

Sibylle Cimmérienne (bord de la Mer Noire) : (Samia) elle porte une corne ou un biberon et a prophétisé la Vierge allaitant l'Enfant. ParGiustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini.

Samia aux Scalzi.

Dans l'église San Sebastiano (quasi-entièrement peinte par le Véronèse), Samia à droite. (le Véronèse, 1558).

Sibylle de Chaldée : elle a prophétisé les Mages.

Sibylle de Perse (Sabbé ou Persica). Ici au centre (Scalzi).

Sibylle de Cumes (Amalthée ou Cumane). Dans l'église San Sebastiano (quasi-entièrement peinte par le Véronèse), Cumane à gauche. (le Véronèse, 1558).


Prêtresse d’Apollon, elle a accompagné Enée aux Enfers, elle a prophétisé la naissance à Bethleem, ou encore le Jugement dernier. Le poète Ovide raconte dans les Métamorphoses (XIV) qu’Apollon, épris de ses charmes, offrit de réaliser son vœu le plus cher en échange de ses faveurs. Feignant d'accepter sa proposition, elle lui demanda autant d'années de vie que sa main contenait de grains de sable. Cependant, Apollon n'honora pas sa promesse comme elle le pensait, car elle avait omis de formuler son vœu de manière à conserver toujours la fraîcheur de ses vingt ans. Sa main contenait mille grains de sable lors de son vœu. Et donc Apollon, tordu comme d’habitude, l'exauça à la lettre, changeant ainsi le souhait en malédiction. Elle vieillit au fur et à mesure de son interminable existence, jusqu'à demeurer toute recroquevillée dans une bouteille suspendue au plafond de sa grotte.

Aux enfants qui lui demandaient ce qu'elle désirait, elle répondait : « Je veux mourir ». Virgile décrit la descente d'Énée aux Enfers accompagné de la sibylle de Cumes ; elle lui avait montré où cueillir, dans les bois sur les bords du lac Averne, le rameau d'or qui devait lui permettre de pénétrer dans le royaume d'Hadès. Cumes est en Campanie près de Naples, et cette sibylle aurait proposé les 9 livres de prophéties censés donner l’avenir de Rome contre une forte somme d’argent. Tarquin le Superbe refusa, et la Sibylle en brûla 3 avant de lui reproposer les 6 restants pour la même somme. Ayant encore refusé, Tarquin vit la Sybille en brûler encore 3 et lui reproposer les 3 restants pour la même somme. Alors Tarquin céda en payant et plaça les livres dans le temple d’Apollon au Capitole. Ces textes furent finalement détruits plus tard par Honorius à la fin du 4ème siècle.



Sibylle de Delphes (Delfica, ou la Pythie) Elle porte une couronne d'épines, a prédit qu'un dieu plus grand que les immortels viendrait pour mourir, prophétise le couronnement d'épines et la Passion). Elle vécut à Samos, Délos et Delphes. Sibylle de Delphes aux Scalzi (Cannaregio).

Delfica à SM del Giglio (San Marco).Elle prophétisait sur une pierre et emportait la pierre avec elle dans ses déplacements. Bon, la Pythie n'était pas vraiment une sibylle, cela a varié avec les âges.

Delfica par Giustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

Sibylle de Tibur. (Tiburtine ou Albunéa, porte un gant ou a une main coupée, a prophétisé les soufflets donnés par le garde au Christ pendant la Passion).

Tiburtine à SM del Giglio (San Marco).

Tiburtine prophétisait dans un bois de Tivoli près du Tibre.

Par Giustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

Dans l'église San Sebastiano (quasi-entièrement peinte par le Véronèse), Tiburtine à droite. (le Véronèse, 1558).

Sibylle de Samos (Samia). Elle a prophétisé la crèche, elle aurait entrevu la Vierge couchant l'enfant dans une crèche .Par Giustinio Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

Sibylle de Phrygie (Anatolie). Elle porte l'étendard du Ressuscité, a prophétisé la Résurrection. Par Giustino Menescardi à la Scuola dei Carmini (18ème siècle).

Sibylle de Marpessos ou de l’Hellespont (Grèce antique)

(pas d'image) Héraclite en parle comme une demi folle à la voix qui s'entendait plus de mille ans.

Sibylle d’Egypte (Agrippine). Agrippine à SM del Giglio (San Marco).