Guide en images des églises de Venise

Santa Maria dei Miracoli (Cannaregio)

Eglise CHORUS

Histoire

Nombre d'images ou statues miraculeuses de la Vierge ont donné naissance à des églises à Venise.

Santa Maria della Fava à Castello, et d'ailleurs pas très loin, a une histoire très proche de celle que l'on présente ici, Santa Maria dei Miracoli. D'autant plus que c'est la même famille, les Amadi, riches marchands vénitiens de la soie venus (plutôt émigrés fuyant la guerre entre Gibelins et Guelfes) de Lucques en Toscane (toute une communauté avait été attirée à Venise pour le travail de la soie) et fervents dévots à la Vierge, qui, à peu près au même moment, firent la promotion de deux représentations miraculeuses de la Vierge, l'une sur la Ca' Dolce à Castello, l'autre (leur appartenant) sur leur maison. Ils firent bâtir, grâce aux dons reçus pour les miracles attestés par les fidèles croyants et confirmés par les Papes d'alors, deux chapelles devant aboutir à de belles églises pour les abriter. Les miracles apparurent presqu'en même temps vers 1480, et des chapelles en bois furent créées, à 15 ans d'intervalle (1480 pour Miracoli, 1496 pour la Fava). Mais l'église de la Fava ne prit forme que bien plus tard (1705), plus de 200 ans après celle des Miracoli (1481). En revanche, la chapelle de la Fava subsista jusque vers 1736 alors que celle des Miracoli fut démolie en 1481 pour pouvoir bâtir l'église en dur sur le petit et étroit campo.

Pour les Miracoli, c'est un certain Francesco Amadi qui en 1408 fait peindre à Zanino di Pietro un triptyque avec une icône de la Vierge à l'enfant au centre, entourée de Saint Jean et de Saint Antoine. Plus tard, la famille décide de l'exposer au public dans une niche située à l'angle de la maison Barozzi, contigüe de celle des Amadi sur le campo voisin Santa Maria Nova, et servant aussi d'éclairage public avec ses bougies allumées (Venise est pionnière en la matière : en 1124, le Doge Domenico Michiel avait généralisé et fait gérer les lumignons des innombrables autels aux coins des rues).

La Vierge commença ses guérisons (cécités et autres handicaps) devant les prières des fidèles, et une bataille opposa vite les Amadi et les Barozzi, car les offrandes et les dons en argent affluaient. Il fut alors décidé par les autorités de bâtir une chapelle votive en bois sur le campiello en face du campo Santa Maria Nova de l'autre côté du rio les séparant. Les miracles (et les dons) continuèrent (exemple, en 1480, tiré d'une page de e-venise : une femme est violemment agressée par son beau-frère ; mourante, elle se tourne vers l'icône, qui lui donne la force de crier et de rameuter des habitants des maisons pour l'aider. Ils arrivent, et constatent que la femme ne montre plus aucune trace de son agression au couteau, miracle !). L'histoire s'emballe alors et les fonds demandés pour bâtir une vraie église affluent.

Alvise Amadi et Angelo le neveu de Francesco Amadi, confortés par la décision en 1477 du pape Sixte IV de célébrer le culte de la Vierge Marie, (reprise à Rome en 1854 par Pie IX avec le culte de l'Immaculée Conception), décident de faire construire une église à la fin de 1480.

En février 1481, Sixte IV autorise et même accorde des indulgences aux donateurs, ce qui accélère les fonds reçus et promet une belle réalisation. Dès mars 1481, les Amadi ont un plan de Mauro Codussi, mais un concours désigne finalement Pietro Lombardo comme architecte et réalisateur. Celui-ci, pour 1000 ducats par an, reprend et améliore les plans de Codussi (Coducci) tout en gardant beaucoup des idées initiales du génial et prolixe architecte de la Renaissance à Venise. Pietro Lombardo a aussi fait les sculptures et les décorations avec ses fils Tullio et Angelo, et son atelier de sculpteurs (dont Vittoria).

Les problèmes posés étaient immenses : loger une église sur le campo, contre le rio et donc quasiment sur l'eau saumâtre, agressive, au ras des maisons qui l'entourent, toute en longueur, étroite (son campanile est encastré, fait rare, au corps de l'église). De plus, en 1483, les Clarisses (nonnes venues de Santa Chiara à Murano) prennent possession de l'église en construction (enlevée à la paroisse) et s'installent dans les maisons de l'autre côté du rio transformées en couvent (par les Lombardo aussi). Pour respecter l'isolement de la Règle franciscaine des nonnes, une passerelle en bois est construite pour relier le couvent directement au-dessus du rio, à un étage dans une tribune intérieure (le "barco") située au début de l'église (à cet étage en bois on plaça un chœur pour la messe des nonnes). La passerelle est détruite avec le couvent en 1810 (selon une source fiable, mais CHORUS mentionne 1865), mais le barco à l'intérieur est resté.

L'église est achevée en 1489. Elle est consacrée le 31 décembre, et l'icône miraculeuse placée sur l'autel. L'ensemble fait unanimement penser à ce qu'on trouve dans la Renaissance Florentine avec une touche vénitienne pour les couleurs.

Elle est modifiée au 16ème siècle. Après encore plusieurs restaurations au cours des siècles (dont une, catastrophique, au 19ème), une restauration plus sérieuse est faite en 1970 par le Stiftverband für die deutsche Wissenschaft. Mais le monument se dégrade de nouveau et une nouvelle restauration est effectuée par Save Venice, sous l'égide de l'UNESCO, avec de très gros travaux (dons de Getty Grant Program de 300 000 dollars) (démontage, désalinisation et remontage des plaques de marbre intérieures et extérieures, colmatage de fissures, nettoyage du plafond sur un don de Paul F. Wallace de 300 000 dollars, réparations et copies de stucs, etc) pour près de 3 000 000 de dollars en tout de la part de Save Venice.

Extérieur

De l'extérieur, l'église n'est pas visible de loin sauf du campo Santa Maria Nova (normal vu l'espace exigu), mais une fois devant, on est devant un chef d'œuvre (en effet, les parois sont décorées de magnifiques plaques de marbres polychromes (vert, rose, veiné), de cipolin, et de pierre d'Istrie.

Les plaques de marbres proviennent des surplus de matériaux commandés pour la construction de la Basilique Saint Marc (vérité ou légende ?). Elles sont non pas collées mais accrochées aux murs porteurs en briques par des crochets de bronze : cela les isole et les protège des remontées d'eau salée du rio, d'où leur étonnante conservation. Malheureusement, une restauration du 19ème siècle les a momentanément collées aux murs de briques avec du ciment, et l'ensemble fut exposé aux pollutions (ciment en poussière, briques abimées, dégradations par le sel).

Les murs latéraux commencent par un soubassement large et solide, puis par deux "niveaux" faisant croire que l'intérieur possède au moins un étage. Le premier niveau est décoré de 11 pilastres aux chapiteaux corinthiens en pierre d'Istrie encadrant des plaques de marbre décorées de croix de porphyre rouge. Après une architrave faisant le tour de l'église, le second niveau au-dessus arbore des pilastres à chapiteaux ioniques terminés par des arcs en plein cintre aveugles alternant avec les fenêtres. Entre les arcs, des sculptures en relief, discrètes, en marbre du côté des rues et en pierre d'Istrie du côté du rio dei Miracoli (plus résistante à l'eau salée). A noter la frise sous le toit, toute sculptée de motifs discrets aussi mais païens (animaux ailés, griffons, fleurs et lierres) et décorée de patères colorées.

La façade principale est à 3 niveaux : les deux premiers continuent la décoration des murs latéraux avec plus de décorations au second niveau. Ils sont rehaussés par un fronton semi-circulaire (la spécialité de Codussi, épelé aussi Coducci) avec trois oculi, une rosace sommaire et deux médaillons de marbre polychrome. Au sommet, une statue de Dieu le Père, et sur les côtés du fronton, deux statues d'anges, réalisées par les Lombardo. La lunette au-dessus du portail abrite une jolie statue de la Vierge de Giovanni Giorgio Lascaris (1480). Une lunette identique sur le côté face aux rues arbore une statue de Joseph ou de prophète.

Sur "l'autre façade", la plus souvent vue car elle donne sur les rios et se voit bien du Campo Santa Maria Nova, on a plus de décorations et d'effort architectural, et une jolie coupole se dresse au-dessus du chœur, tandis que le petit campanile octogonal de 17 m est habilement encastré presque dans l'abside sur le côté. A noter l'emplacement des deux fenêtres entourant le chœur, placées décentrées par rapport aux portiques.

Intérieur

L'intérieur est une nef unique déconcertante par son étroitesse et sa grande hauteur, mais finalement l'ensemble est élégant, surtout avec son chœur très surélevé.

Peu de peintures, beaucoup de panneaux de marbres polychromes, une décoration très discrète mais raffinée. Le magnifique plafond de 50 caissons de bois dorés, avec Saints et Prophètes (de Pier Maria Pennachi, Vincenzo da Treviso et Domenico Caprioli, 1528), semble bien haut par rapport à la largeur de cette église (les caissons sont loin des yeux).

Le barco (ou tribune), supporté par 2 piliers ouvragés, servait aux Clarisses venant de leur couvent de l'autre côté du rio en toute discrétion assister à la messe depuis ce premier étage. Son plafond intérieur à caissons en bois est illustré de tableaux (Saint François, La Vierge à l'enfant, et Sainte Claire) et de petits cadres représentant des Saints ou des décorations pompéiennes, d'un maniériste vénitien anonyme de la fin 16ème. Plus intéressantes sont les ornementations sculptées des piliers (16ème siècle), ceux du barco et surtout les deux en haut de l'escalier : ils sont décorés de bas-reliefs de sirènes (nues), de centaures, de tritons, d'hippocampes, de cupidons, et d'autres motifs fleuris ou de personnages, très païens mais très à la mode à cette époque précise de la construction. Dans l'abside, le pilier gauche évoque la fin du monde antique idyllique et païen, alors que le pilier droit représente la renaissance des valeurs antiques revues par le monde chrétien (selon CHORUS, mais c'est en général très fiable). Ces bas-reliefs sont de Tullio et Antonio Lombardo, et semblent tirés de celles de sarcophages étrusques (source : Chorus).

En bas du chœur se trouvent deux statues de Girolamo Campagna : à gauche, Saint François, à droite Sainte Claire.

Le chœur est situé en hauteur après un escalier de 14 marches (la sacristie est en-dessous). Les murs sont richement décorés de plaques de marbre et de médaillons de couleur, agrémentés aussi d'ouvertures savamment distribuées. Noter que de l'intérieur les deux grandes fenêtres derrière l'autel sont parfaitement symétriques dans leur entourage de pierre, alors que de l'extérieur elles sont décalées dans leur cadre. La balustrade ajourée et les deux chaires aux extrémités sont aussi de Lombardo, et décorées de sculptures de Tullio Lombardo (date inconnue, probablement vers la fin de la construction) : Saint François et Sainte Claire. Noter qu'ils se trouvaient avant de part et d'autre de l'escalier mais en bas, sur des autels supprimés lors de la restauration au 19ème siècle. On y trouvera aussi une magnifique Annonciation avec Gabriel à gauche et Marie à droite.

Au fond sur l’autel, la miraculeuse Vierge à l’Enfant de Zanino di Pietro (encore une incertitude ici : ou Nicolo di Pietro peintre vénitien plus connu, selon beaucoup, mais c'est plus sûrement Zanino), datée 1408. Elle est enchâssée dans un cadre en bois qui apparut beaucoup plus tard puisque fabriqué par les frères Basarel sur commande du comte Boldu en 1887 (il habitait juste derrière). Elle est entourée de deux petites statues de bronze d'Alessandro Vittoria (un élève des Lombardo, mi-16ème) représentant Saint Pierre à gauche et Saint Antoine abbé à droite (noter que CHORUS se contredit sur ce point : ils parlent de Vittoria sur le plan donné aux visiteurs, et sur l'inventaire des œuvres de l'église de leur site web, ils donnent Cesare Groppo comme probable sculpteur...)

La coupole carrée, avec les lunettes et ses fenestrons au-dessus, est ornée des effigies des 4 Evangélistes probablement sculptées par Pietro Lombardo lui-même qui s'est énormément investi (en architecte et en sculpteur) dans cette église.

L'orgue actuel est de 1919, le précédent se trouvait à droite de l'autel et ses portes sont parties à l'Accademia (faites par Giovanni Bellini).

Références

CHORUS :https://www.chorusvenezia.org/fr/eglise-de-sainte-marie-des-miracles

e-venise : https://www.e-venise.com/eglises-venise/santa_maria_miracoli_venise_3.htm

Adresse : Campo dei Miracoli, Cannaregio 6075 (certaines cartes et certaines pages Web la donnent dans Castello …)

Horaires : Lun-Sam 10 :00-17:00 (sous réserves)

Rev4 20/11/2019

Francesco Amadi, riche marchand de soie venu de Toscane, possédait vers 1470 un triptyque avec la Vierge entourée de Saint Antoine et Saint Jean (Pietro di Zanino), placé dans une niche dans la rue, et faisant des miracles à répétition. Les dons affluent (le Pape Sixte IV accorde en 1481 des indulgences aux donateurs). (vue du campo Santa Maria Nova)

Les Amadi font alors bâtir une vraie église à la place de l'oratoire en bois. Sa construction astucieuse fut rendue difficile avec les rii et les habitations, mais Codussi (1481) et plus tard (1483) les Lombardo (Pietro le père et ses fils Tullio et Angelo) en ont fait une réussite totale (1483-1489). (vue de la Fondamenta del Piovan et son pont).

Face arrière que l’on voit bien du campo. Le campanile est "intégré" au reste, pour des raisons d’espace disponible entre l’eau les maisons et les ponts.

L'ensemble est grandiose, et annonce l'intérieur.

Tout le tour de l’église est orné de frises en marbre magnifiques, il faudrait des heures …

Le long du flanc gauche (étroit les maisons sont tout près), l’entrée latérale richement ornée annonce le portail de la façade.

Magnifique façade reprenant les côtés, plus riche en décorations (croix en porphyre, médaillons, hauts reliefs), et surmontée d'un fronton semi-circulaire.

La structure fait imaginer un intérieur à 3 niveaux, mais il y a une seule nef tout en marbre aussi et une tribune à l'entrée.

La rosace, les oculi et les médaillons rappellent le (maudit) palais Dario sur le Canal (normal c'est Pietro Lombardo qui l'a construit !). Dieu le Père au sommet et 2 anges aux coins (Lombardo).

L'extérieur est fait de plaques de marbre, non pas collées mais accrochées par des pitons et ne touchant pas les murs dans lesquels remonte l'eau saumâtre des rii.

Sur les piliers des portes d'entrée campo et façade, des bas reliefs, ici Claire (à l’origine des Clarisses, elle y est encore 5 fois dans l’église).

Là le baptême de Jésus.

Dans la lunette au-dessus du porche, une belle Vierge de Giovanni Giorgio Lascaris (1480).

Le Barco à l'entrée, avec deux piliers décorés et plafond à caissons. L'orgue est récent (1919).

Les Clarisses avaient leur accès direct ici par une passerelle en bois traversant le rio vers leurs appartements, et leur autel pour la messe sur la tribune.

Les piliers du Barco, richement décorés de motifs …

… plutôt païens (mais c'était à la mode à cette époque).

François.

Claire.

La Vierge et l'Enfant au centre.

Voûte en berceau à caissons dorés, plaquée de marbres polychromes et ornée de médaillons de porphyre.

Les 50 caissons de bois renferment des images de Patriarches et de Prophètes (Pier Maria Pennachi, Vincenzo da Treviso, Domenico Caprioli, 1528).

Le grand escalier de 14 marches pour atteindre le maître-autel, en-dessous se trouve la sacristie. Les travaux de restauration ont été gigantesques pour arriver à cette perfection.

Au pied de l'escalier, statues de Girolamo Campagna. Ici François à gauche.

et Claire à droite. (ben oui les Clarisses ont vécu longtemps ici, il y avait un pont en hauteur entre leurs habitations en face du rio et le haut du barco où se trouvait même un autel).

La coupole carrée, avec les lunettes très codussiennes et ses oculi au-dessus, avec les pendentifs ornés des 4 Evangélistes (dont cette fois-ci je ferai grâce, d'autant plus qu'ils sont quasi impossibles à photographier).

Plus intéressantes ici sont les statues aux coins des balustrades en haut de l’escalier.

Balustrade ouvragée, et 4 statues des frères Lombardo, ici Saint François en haut de l'escalier (au-dessus du même Saint François en bas de l'escalier).


Claire de l'autre côté (si on ne le savait pas …). Aux extrémités de la balustrade, deux chaires en marbre.


Annonciation, avec l'archange Gabriel à gauche qui fait l'annonce de la prochaine venue du Christ, …

… et en face de Gabriel, on a Marie à droite qui la reçoit comme la future mère de Jésus.

La miraculeuse Vierge à l’Enfant de Zanino di Pietro, entourée de statues en bronze de Saint Pierre et Saint Antoine Abbé (Alessandro Vittoria).

Le cadre fut construit en 1885. En fait on ne voit pas très bien, et l'église, sans chapelles ni autels latéraux, paraît immense autour de cette icône.

Les ornementations sculptées des piliers (16ème siècle) montrent des sirènes (nues), des centaures, des tritons, des hippocampes, des cupidons, et d'autres motifs fleuris ou de personnages, très païens aussi mais très à la mode à cette époque précise de la construction.

Le pilier gauche évoque la fin du monde antique idyllique et païen, alors que le pilier droit (ici) est plus fin et représente la renaissance des valeurs antiques revues par le monde chrétien (Tullio et Antonio Lombardo).