Récits et Légendes de Venise
Le coeur à l'envers du sottoportego dei Preti à Castello
La Salizzada del Pignater
Quand on quitte le Campo Bandiera e Moro (où se trouve l’église San Giovanni in Bragora avec un remarquable retable de Cima da Conegliano, le Baptême du Christ) par la Salizzada del Pignater, on voit à première vue une rue assez large pour Venise, toute pavée, minérale, et sans aucun Intérêt.
Ceux qui pensent qu’il y a foule à Venise n’ont qu’à se promener ici et plus au nord, ils seront assurés d’être tranquilles.
Si, il y a quand même des façades remarquables byzantines, romanes, gothiques, baroques, des patères (ces morceaux de granit sculptés insérés dans les murs) intéressantes.
Rien d’autre ? En fait, si. Mais il fallait le savoir avant de passer dans cette rue.
A propos vous avez entendu le mot Salizzada, à la place du mot classique Calle, pour désigner une rue à Venise. En fait il existe de nombreuses appellations, et avant de vous faire découvrir la surprise de cette Salizzada, on va faire un peu de culture.
Comment se nomment les rues à Venise
La diversité des noms vient de l’accumulation dans l’Histoire des événements qui ont créé la rue. Chez nous aussi, rue, avenue, impasse, travée, boulevard, etc., existent.
A Venise on a :
- CALLE : C'est le nom courant normal d'une rue à Venise. Vient du latin callum, rue.
- FONDAMENTA : C'est un quai le long d’un canal
- LISTA : portion de rue située devant le palais d'un ambassadeur. Les limites de l'espace protégé par l'immunité diplomatique étaient marquées de pierres blanches, les "liste".
- PISCINA : Ancienne réserve d'eau comblée. Pour joindre deux îles on remblayait les espaces avec de la terre et des roseaux, jusqu’à ce que cela tienne.
- RAMO : Courte ruelle souvent en coude, reliant deux calli. Souvent une impasse ou une ruelle donnant sur un rio.
- RIO TERRA (ou TERA) : ancien rio comblé, transformé en rue. Il y en a beaucoup ici. Le rio Batario coupait la place Saint Marc en deux, il a été comblé.
- RUGA : du français rue, synonyme de calle
- SALIZZADA : Dans le passé, seule une rue pavée portait le nom de salizzada, du mot "selciata", pavée ; selce désignant le silex. En effet, comme partout ailleurs au Moyen-Age, les rues étaient en terre battue avec une rigole au milieu. Bonjour la fange et les odeurs. Le pavage améliore l’hygiène, la mobilité, mais cela coûtait cher. Aujourd’hui toutes les rues sont pavées (ou presque…)
- SOTTOPORTEGO : Passage couvert, sous un immeuble
- VIA : seules deux ou trois à Venise, la via Garibaldi, la via San Marco, la viale 22 marzo
Et aussi :
- CAMPO : Une place est ainsi désignée, parce qu'autrefois c'était un champ cultivé ou un espace recouvert d'herbe. C’est l’unité de construction dès la naissance de Venise : on délimite un campo, on y met un puits et toute la technique pour récupérer et filtrer l’eau, et autour, on construit : d’abord une église, et ensuite des maisons ou des palais, en tenant compte des canaux et des campo à côté pour bâtir des ponts, des quais pour les bateaux, etc.
- CAMPIELLO : Petit campo
- CORTE : Une cour (en général privée, mais pas toujours)
- CORTILE : Petite cour
- PIAZZA : seule la place Saint-Marc porte ce nom. Les autres "places" portent le nom de "campo".
- PIAZZALE ROMA : c’est l’immense place pour le parking, les bus et les transports pour rejoindre Mestre sur la Terre ferme.
- PIAZZETTA : Il n'y en a que deux à Venise, la piazzetta San Marco qui donne sur la lagune avec ses deux colonnes et la piazzetta dei Leoni, petite place à gauche de la basilique Saint-Marc.
- RIO : C'est un canal. Mais il n'y a à Venise que trois canaux qui portent le nom de "Canal" : le Grand Canal, le Canal de la Giudecca et le Canal de Cannaregio.
Le Sottoportego dei Preti
Revenons à la Salizzada. Vers le milieu de la rue, un petit porche donne sur le sottoportego dei Preti. En apparence, rien de spécial.
Mais entrons.
Et là, il faut avoir le réflexe de se retourner.
Et on découvre, comme clé de voûte du porche, un cœur de brique, abimé mais toujours là.
Et ce cœur a une belle histoire, comme on peut en trouver tellement à Venise.
L’histoire du cœur en brique
Orio était un jeune pêcheur qui habitait à cet endroit. Un beau matin encore dans la brume, il levait ses filets dans la lagune pour rapporter la pitance à la maison quand l’eau se met à tourbillonner. Illusion d’optique ou sortilège ?
La sirène Mélusine vient de sortir de l’eau et elle le regarde intensément. Elle ouvre la bouche et se met à le supplier : « Libère-moi ! ».
Le sang d’Orio se glace. Les yeux exorbités il se demande si le Diable ne lui joue pas un tour. Et Mélusine lui apparaît encore, de plus en plus près, avec ses cheveux blonds mouillés, et son corps de sirène idéale. Il en tombe immédiatement amoureux. Remis de ses émotions, il la revoit tous les jours, et à la fin il la demande en mariage.
Gros problème, de se marier avec un poisson ! Ca a des écailles, et en plus cela n’a ni jambes ni bras. Alors comment on fait pour aller voir Mr le Maire avec ça ? D’où des discussions, la Mélusine elle aime bien aussi Orio, mais son état ne lui permet pas beaucoup de choses sur la terre ferme. Finalement après de nombreux jours de rencontres dans la lagune et de discussions interminables pour tenter de résoudre le problème, Mélusine accepte d’avoir des jambes.
Mais elle fait promettre à Orio de ne pas la voir les samedis jusqu’au mariage. « Surtout ne viens plus me voir le samedi sinon le malheur arrivera ! »Orio accepte, mais trois samedis plus tard il ne tient plus. L’imbécile, il se met à courir vers la plage, et de la mer sort un serpent ! Catastrophe !
(ça devrait nous rappeler l’histoire d’Orphée et Eurydice : Orphée descend aux Enfers pour ramener Eurydice à la vie, à la condition qu’il ne se retourne jamais dans sa remontée avant d’atteindre l’air libre. Dommage, Eurydice pousse un cri juste avant de sortir, et Orphée se retourne : trop tard, Eurydice repart morte aux Enfers)
Notre Mélusine, dans notre histoire, est en fait frappée d’un horrible maléfice, qui fait qu’elle se transforme tous les samedis en serpent. C’est pour cela qu’elle ne voulait pas être vue les samedis.
Le serpent lui crie alors « Marie-moi et je redeviendrai femme ! ».
Orio n’hésite même pas. Ils se marièrent, et Mélusine prit d’un coup un aspect humain et ils vécurent des années ici même. Ils eurent 3 enfants et tout allait bien.
Mais un jour Mélusine meurt subitement. Orio a beaucoup de chagrin il peine à s’en remettre. Il continue de pêcher mais sa maison est en désordre et toute sale.
Et puis, un moment après, il se rend compte que sa maison redevient bien rangée. Elle est de nouveau propre, les lits sont fais, la poussière est passée sur les étagères et la cuisine est propre. Orio se demande pourquoi car il est toujours malheureux et ne fait pas grand-chose à la maison.
Mais alors, par la suite, sa maison se met à devenir de plus en plus sale et en désordre, car il ne s’en était jamais occupée en fait.
Et au bout d’un moment Orio se rend alors compte qu’il a en fait tué Mélusine qui s’était transformée en serpent.
En souvenir de cette belle et triste histoire d’amour, on posa au mur de la maison ce cœur de brique qui rappelle l’aventure du petit pêcheur de la lagune et de sa sirène Mélusine. Il est bien caché ce cœur, il faut savoir qu’il se trouve au revers de l’entrée du sottoportego.
En faisant un vœu en le touchant, le vœu se réalise dans l’année. Bon je ne sais pas si cela marche. Vous pourrez toujours essayer.