Guide en images des églises de Venise

San Cassiano (San Polo)

A première vue, on n'a pas envie d'entrer. Un bâtiment quelconque, au flanc paré de 4 grosses lésènes en forme de piliers sans autres ornements, et 3 grandes fenêtres en demi-lune, pas de façade, et un portail d'entrée fermé.  Coincée par des rues étroites et des maisons, malgré le campo devant, avec sa porte d'entrée minimaliste sur le côté (dotée autrefois d'un vrai porche décoré, qui fut démoli), l'église ne paye vraiment pas de mine. Et pourtant l'intérieur est splendide (mais ce n'est  pas la première église de Venise comme cela) et abrite des trésors du Tintoret !

Note : depuis 2018, l'entrée principale qui donne sur le rio est maintenant accessible après de longs travaux.


Histoire 

On dit (c'est probablement vrai) qu'un oratoire fut construit ici, à la limite entre San Polo et Santa Croce, pour Saint Cécile (patronne des musiciens) vers 726. Transformée en église paroissiale vers 930 et financée par les riches familles Michiel, Minotto et Miani, dédiée alors à San Cassiano (patron des professeurs). En effet il enseignait, mais on dit qu'il fut attaqué à mort par des élèves au 4ème siècle en utilisant leurs propres stylets d'écriture ! Une grisaille au plafond au-dessus de l'orgue sur la contre-façade, montre le Saint attaqué par ses élèves païens et transpercé de leurs stylets. 

San Cassiano (Cassan en vénitien et Gatien/Cassien en français) possède des dizaines d'églises en Italie et en France. San Cassiano ici fut rebâtie en 1106 après un incendie, puis de nouveau en 1205 et en 1350, puis reconsacrée en 1367. Au début du 17ème siècle elle est de nouveau restaurée et modifiée (en particulier la structure à 3 nefs et les chapelles latérales) jusqu'en 1663 pour atteindre son apparence actuelle. Le plafond a été restauré récemment.

Extérieur

Extérieurement, l'église est de style gothique mais très simplifié, sans décorations, avec seulement une partie basse en plâtre gris-blanc, sauf la partie correspondant à la nef centrale qui est faite de blocs de pierre. Le flanc droit donnant sur le campo présent 4 lésènes en forme de piliers, découpant trois zones munies de grandes fenêtres en demi-lune, placées très haut. La porte d'entrée officielle est une petite ouverture sans décoration (autre qu'un bas-relief de la Vierge en marbre blanc à côté), qui donne sur la nef droite.En 1488 la porte fut fermée de chaînes le soir car le lieu servait de rencontres entre sodomites, comme en d'autres endroits aux alentours dont les pâtisseries (??), et même, le portail de Santa Maria Mater Domini tout près de là a dû être muré pour les mêmes raisons. Ce quartier de San Polo, avec le Ponte delle tette, les Carampane, et le reste, n'avait vraiment pas bonne réputation. Et en plus pas très loin se trouve l'ex-maison du séditieux Marco Querini qui tenta avec Baiamonte Tiepolo de renverser la République le 15 juin 1310.

Noter que sur le campo s'est ouvert en 1736 le premier opéra payant mais il fut fermé en 1812 après de nombreux incendies (il y avait de très nombreuses salles de spectacles à Venise depuis toujours).

Au 19ème siècle, on condamne le porche d'entrée situé face au rio et on refait la pseudo-façade (en fait le mur droit) donnant sur le campo. 

Le campanile (serait-ce une ancienne tour de garde reprise pour en faire le clocher?) date de la fin du 13ème siècle, il s'élève à 43 mètres. Son beffroi gothique, à trois ouvertures de chaque côté, est ajouté au 16ème siècle.


Intérieur

L'intérieur de l'église est refait au 17ème siècle selon son aspect actuel.  

Tout est splendide et impeccable. De plus, il contient trois Tintoret (les peintures dans la chapelle centrale du maitre-autel), et d'autres chefs d'oeuvre, en particulier le magnifique plafond de Costantino Cedini dans le style de Tiepolo (fin 18ème). A noter aussi l'orgue de 1734, du au prêtre Pietro Nachini (dont on sait que c'était son 80ème ouvrage), restauré par les frères Callido (et de nouveau restauré en 2004 par Franz Zanin) avec son balcon peint par le Schiavone (Andrea Meldolla, 16ème) avec des scènes de la vie d'enseignant du Saint (copies de dessins du Tintoret). L'église contient aussi d'autres œuvres de Giandomenico Tiepolo ou de  Bassano, et du sculpteur Heinrich Meyring très célèbre à Venise (le choeur de l'église San Moïse). Ses trois nefs sont séparées par des piliers corinthiens en marbre peu nombreux mais massifs, et curieusement surmontés d'un tailloir  carré bien au-desssus du chapiteau. L'église est lumineuse grâce aux six grandes fenêtres semi-circulaires, les murs sobres et dans les blancs cassés, et le haut plafond blanc agrémenté de fresques et de grisailles magnifiques (mais c'est très haut et difficile à bien voir). Tout est très soigné et très propre, témoignant d'un vrai souci de garder l'ensemble impeccable (comme en Bavière), contrairement à d'autres édifices religieux plus abîmés).En demandant gentiment, on peut avoir accès à la chapelle Saint Charles Borromée (la capellina) par une petite porte au centre de la nef gauche, qui renferme aussi quelques chefs d'œuvre dont un Christ au Jardin des Oliviers attribué à Leonardo Bassano, La Vierge à l'Enfant avec Charles Borromée et Philippe de Neri, de G.B. Pittoni, et un plafond où siègent Sainte Cécile et San Cassiano.

L'église renferme les reliques du corps de San Cassiano, de la tête de Sainte Cécile et la mâchoire de Saint Laurence.

Sur Saint Cassien 

(San Cassiano, Saint Gatien ou Gassien en France où plusieurs églises et villages portent son nom)

Saint Cassien ou Saint Gatien, patron des professeurs. En effet il enseignait, mais on dit qu'il fut attaqué à mort par ses élèves au 4ème siècle en utilisant leurs propres stylets d'écriture ! Une grisaille au plafond au-dessus de l'orgue sur la contre-façade, montre le Saint attaqué par ses élèves païens et transpercé de leurs stylets.

La légende, consignée dans un document trouvé à Todi mais considéré comme fantaisiste, dit que Cassiano était le neveu du préfet de Rome, Cromazio. Il étudia le droit et la médecine, et pendant la persécution de Dioclétien, il avait mis pendant un certain temps en prison Ponziano l'évêque de Todi, petite ville très ancienne d'Ombrie au centre de l'Italie au-dessus du Tibre. Mais sous l'influence de Ponziano, Cassiano finit par se convertir au christianisme. Il devint évêque par le pape Marcellino, envoyé au siège de l'évêché à Todi, puis emprisonné pendant une persécution, Son frère Venustiano essaya en vain de le rendre apostat, mais Cassiano resta toujours ferme dans sa foi, et il fut tué le 13 août 304.

Les anachronismes et les falsifications contenues dans le document font penser que Cassiano a été confondu avec le Cassiano d'Imola, vénéré à Todi et plus tard sans doute devenu l'évêque local. En 1301 le corps supposé de Cassiano est transféré du lieu du martyre à l'église de San Fortunato à Todi, sous l'autel. En 1596, le corps fut à nouveau transféré par l'évêque Angelo Cesi et enfin, en 1923, Mgr Luigi Zaffarami en fit la reconnaissance solennelle. Après la première translation du corps, la tête a été conservée dans un reliquaire à cassette, couvert de plaques d'argent et orné d'images en or du Crucifix, de la Vierge et de Saint Jean l'Evangéliste.

Références

Documents en français dans l'église (succinct)

Wikipedia

http://www.churchesofvenice.co.uk/

http://www.veneziamuseo.it/TERRA/San_Polo/Cassan/cas_san_cassan.htm

 

Adresse : Calle dei Morti ou  Campo San Cassiano, San Polo

Horaires : 09:00-12:00 17:30-19:30 (ou 17:00-19:00) Mar-Sam (sous réserves


Rev4 09/01/2024

Le campo San Cassiano, étroit et encombré, d'où l'on voit le flanc ouest de San Cassiano (San Cassan en Vénète).

Bien noter la porte d'entrée, quelconque. Style baroque, 3 lésènes toscanes en forme de piliers et trois grandes fenêtres en demi-lune, sur un ton brunâtre.

Savoir qu'il y a là-dedans un joyau du baroque et des Tintoret, avec un portail fermé,des murs délabrés, tient du prodige.

Et pour ceux qui chercheraient un signe religieux, ceci est une liste des morts pour la patrie, rafistolée sur le grand mur délabré.

Le campanile du 13ème (ancienne tour de garde ?), 43m de haut.

Au coin sur Calle del Campaniel, cette très jolie niche fleurie.

A côté de l'entrée latérale, la seule décoration qui vaille la peine, cette jolie Vierge avec l'inscription : "Cœur immaculé de Marie, bénis cette paroisse à toi dédiée".

Surprise dès l'entrée : on est dans une magnifique église baroque à trois nefs. Les piliers majestueux aux chapiteaux corinthiens sont curieusement surmontés de tailloirs carrés sous les arcatures soutenant les très hauts plafonds. 

Elle est spacieuse et assez claire avec ses 6 fenêtres en demi-lune en haut et sa dominante de blanc cassé.

Quel changement par rapport à l'extérieur ! La nef droite avec l'entrée à droite de la chapelle au fond,  où on commence la visite.

Premier autel à gauche de la porte d'entrée.

Un crucifix en bois d'un anonyme de l'Ecole Sicilienne de la fin du 15ème siècle (et la seule porte pour entrer).

Statue en marbre de la Vierge (19ème). Le dramaturge et écrivain Carlo Gozzi est enterré au pied de l'autel (mais sa pierre tombale a disparu).

J'aime beaucoup cet autel avec cette niche délicate et ses colonnes en marbre polychrome

Cette nef ne fait pas référence au Saint ni à Sainte Cécile la première patronne du lieu.

3ème autel : Saint Jean Baptiste avec les saints Pierre, Paul, Marc et Jérôme  (début 16ème, Palma le Vieux, ou Rocco Marconi ?)

Les cadres et fresques de part et d'autre des autels et qui décrivent le chemin de croix tout autour des nefs méritent aussi attention par leur finesse et leurs couleurs.

On trouve aussi ce genre de décoration, plus douteux mais rococo au possible (les Bavarois sont battus).

Plafond de la nef droite. Stucs impressionnants et fresques avec les Evangélistes Matthieu (avec l'ange, à droite) et Marc (avec son lion, à gauche). 

Dans la lunette, le Jugement de Salomon entre les deux "prétendues mères": Salomon lève son épée pour tuer l'enfant, l’enfant se met à crier, mais une des femmes se met à hurler… 

Elle implore le roi : "Monseigneur, qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas ! " alors Salomon se lève et déclare : "C'est toi la mère, qu'on lui donne cet enfant". En dessous, une plaque commémorant Giuseppe (IO) Battista (Batt.) Galliccioli, né ici et prêtre de Cassiano.

Né en 1733, c'est un éminent théologien, archéologue et philosophe parlant les langues orientales (hébreu, syriaque, chaldéen, grec), et anglais français, etc. Il publie les œuvres de Grégoire le Grand et a préféré rester prêtre à Venise pour enseigner. Il est mort en 1806.

Au centre au-dessus du portail d'entrée condamné, un orgue magnifique et son balcon peint racontant la vie de San Cassiano.

L'orgue des Callido rénové en 2004 par Zanin, entièrement mécanique, avec deux claviers de 57 notes et un pédalier de 21 notes.

Au-dessus de l'orgue, la grisaille entourée de stucs montre le martyre de San Cassiano transpercé par les stylets de ses élèves (Antonio Balestra, début 18ème). 

A gauche, Cassiano est fait évêque. Les peintures sont d'Andrea Meldolla (Il Schiavone, 16ème).

Au centre du balcon, on peut supposer voir le Saint parcourir les cités orientales suivi par ses disciples.

A droite, San Cassiano enseignant à ses élèves (juste avant sa mort ?)

Vue de la nef gauche

Vue du chœur depuis le fond de l'église.

La nef centrale, majestueuse.

Fresques de de Costantino Cedini (1741-1811), élève de Zugno lui-même suiveur de Giambattista Tiepolo (on voit bien la similitude de style), de la fin 18ème, et représentant San Cassiano en gloire.  

L'évêque en gloire sur son nuage avec la mitre et la crosse, l'autre ange tenant la palme des martyrs, et au-dessus, est ce la Vierge ou est-ce Venise comme l'ont fait Véronèse et Le Tintoret au Palais des Doges) ? 

La colombe, le Christ et sa croix, et peut-être Sainte Cécile. Aux détails, on constate que Cedini est tout de même un peu moins génial que GianBattista  Tiepolo.

A chaque extrémité de la fresque en couleurs, deux grisailles splendides, le tout entouée de stucs et de liserés dorés. 

Vue du fond de la nef gauche. Bien que très baroque, l'église ne croule pas sous les dorures et les motifs compliqués de ce style, au contraire elle est globalement "sage" et donc d'autant plus intéressante.

Nef gauche, en haut sur la contre-façade : les concubines de Salomon (sous réserves).

La nef gauche.

Au plafond, les deux autres évangélistes Luc et le taureau  (à gauche), et Jean avec l'aigle.

Autel au fond de la nef gauche : Saint Antoine et l'Enfant (Lattanzio Querena, 1822)

L'ange, presque adulte curieusement et se penchant sur eux, est splendide de finesse.

En avançant, les fonds baptismaux, et à droite la petite porte vers la Capellina Saint Charles Borromée décorée en 1746 à la  place de l'ancienne sacristie.

Autel de Matteo Ponzone, le Christ crucifié et le Saint.

Mur gauche du chœur, une impressionnante mise en croix du Tintoret (1568), à noter que Saint Jean à gauche tend le bras vers le tableau central de la résurrection

Chapelle latérale à gauche du chœur.

Madone avec le Saint (Marianna Pascoli, 19ème).

Dans la lunette au-dessus, une belle fresque en grisaille dont le sujet est inconnu.

Le chœur très baroque, au centre un tableau de la Résurrection avec San Cassiano et Sainte Cécile, du Tintoret (1575). Le Christ plane vers le ciel, en totale contradiction avec le Concile de Trente ayant exigé à l'époque de le représenter vertical.

Le maître-autel en marbre portant trois bas-reliefs représentant des repas du Christ (rappelant l'eucharitie) : le repas à Emmaus, la Cène, et Christ dans la maison du Pharisien (Tommaso Rues). 

Il y a aussi de magnifiques sculptures de Heinrich Meyring et Bartolomeo Nardi (1684-1689). (Meyring, allemand,  a réalisé aussi le chœur de San Moisé, impressionnant mais laid monument baroque).

C'est très baroque et en même temps très retenu, d'où une clarté et une simplicité qui charment la vue.

Les grisailles délicates n'ont pas grande signification, ici trois anges et un encensoir sur un nuage.

Sur le mur gauche, la Crucifixion (1568), considéré comme un des grands chefs d'œuvre du Tintoret. Adoré par Ruskin, ce tableau me parait pompeux et désordonné et de loin pas le meilleur du peintre,

 (voir par exemple toute l'église Madonna dell'Orto à Cannaregio où le Tintoret est enterré, et a peint de très grands tableaux, et tout spécialement la Présentation de Marie au Temple, un chef d'œuvre absolu).

Sur le mur droit, encore un Tintoret, La descente du Christ aux Limbes (1568), où Eve à la chair blanche (et sexy dit-on) accueille humblement le Christ au royaume des Morts …

… et où le Christ, après sa résurrection,, accueilli aussi par Adam, lui prend la main en disant "Lève-toi reviens des Morts et je te redonnerai la Lumière".

 Chapelle de droite, décorée par Leonardo Bassano. 

Au centre, la Visitation

A gauche, l'annonce à Zaccaria (Zacharie) (Luc 1,5-25) où l'ange lui annonce qu'il aura un fils (Jean Baptiste)

Zacharie était prêtre sous Hérode, sa femme et lui stériles et âgés, et désespéraient d'avoir un enfant malgré leur religiosité irréprochable

A droite, la naissance de Jean Baptiste.

En bas des tableaux, des mécènes aujourd'hui inconnus mais qui tenaient à apparaître vu ce qu'ils avaient du payer …

La chapelle Saint Charles Borrromée. La chapelle, conçue en 1746 par le prêtre Carlo del Medico, est décorée de stucs, de marbres polychromes, de stalles en noyer. Beau plafond de GB Pittoni. 


Il y a aussi un tableau de Pittoni (La vierge à l'Enfant, Saint Charles Borromée et Philippe de Néri), ainsi que Le Christ au jardin des Oliviers de L. Bassano.