Récits et Légendes de Venise

Le Tintoret dans les églises de Venise


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Introduction

Jacopo Robusti est né le 29 septembre 1518, son père était dans la teinture sur soie, venant probablement de Lucques, capitale de la Toscane, où les guerres en Italie (principalement avec Florence) avaient fait fuir nombre d'artisans au 14ème siècle, et que Venise accueillit et protégea volontiers. En effet Lucques, au nord de Pise, avait développé dès le 11ème siècle le travail de la soie. Cette cité, indépendante, passe de mains en mains à l'empire germanique, puis à la France en 1334, pour finir sous la domination des Pisans en 1342. Son histoire, très agitée, continuera avec des intermèdes d'indépendance et de soumission. De très nombreux ateliers de soie fuirent la ville pour s'installer en nombre ailleurs, dès le 14ème siècle à Venise ou à Lyon en 1494, où l'industrie de la soie se développa rapidement.


Un autoportrait de 1547.

En 2007 on découvre que son père s’appelait Comin, donc lui aussi !

Le nom honorifique Robusti a été donné à son père en 1511 après la défense de Padoue contre la Ligue de Cambrai en guerre contre Venise (France, Empire germanique, Espagne, puis le Vatican, qui retournera sa veste pour rallier Venise), et son père et ses descendants ont gardé ce nom.

Petit, il est doué pour la peinture, et utilise les couleurs de son père, repeint les murs de l'atelier.

Il part en apprentissage chez Le Titien en 1530 (mais ce n’est pas sûr).

Celui-ci, voyant ses dons, le renvoie, et deviendra son plus grand adversaire

En parallèle il étudie les chefs d’œuvre de Michel Ange, de Schiavone, Paris Bordone et Véronèse qui sera son grand concurrent plus tard. Sa devise dans son atelier ouvert en 1539 est « le dessin de Michel Ange et la couleur du Titien.

Le Tintoret s’imprègne très tôt du courant maniériste toscan et romain.

Le Maniérisme est un courant artistique dérivé de Raphaël et Michel Ange, qui débute à la fin de la Renaissance (1520) en réaction à l’art classique qui demande la perfection des corps et de la perspective, entre autres règles.

Il introduit le mouvement, la gestuelle.

On délaisse l’art de la perspective classique dite Albertiste pour des artifices élaborés (doubles points de fuite).

  • ·Les corps sont magnifiés, déformés, étirés, leurs formes exagérées (à l’exemple du Jugement Dernier de la Sixtine).

  • ·Les sujets peuvent être excentrés, la perfection du tableau laissée de côté pour privilégier le mouvement, la fluidité, l’emphase.

  • ·Les couleurs sont plus crues (inspirées de Michel Ange encore), et le clair-obscur souvent employé.

  • Le maniérisme préfigure le Baroque dès le milieu du 16ème et au 17ème siècle.

Très tôt il entre dans le cercle fermé des protégés de l'Arétin. L’Arétin est un poète et collectionneur lettré influent, réfugié à Venise après le sac de Rome par Charles Quint en 1527. Il l’introduit dans la noblesse vénitienne et les artistes, et lui permet de découvrir le maniérisme de son ami Schiavone, de Pontormo ou Parmesan, ainsi que les œuvres de Michel Ange à Rome.

Dès 1540, il peint surtout des portraits pour les Patriciens vénitiens, il en fera toute sa vie. Les commandes affluent et sa réputation grandit à Venise.

A 23 ans il a sa première grande commande en 1541, du Noble Vettor Pisani qui lui demande 16 fresques sur les Métamorphoses d’Ovide.

En 1545 l’Arétin lui demande 2 tableaux mythologiques et lui donne 1 mois après, l'Arétin s’étonne et se vexe de sa rapidité.

Car le Tintoret peint à une vitesse incroyable, fait énormément de dessins de personnages, mais fait rarement des esquisses préparatoires, et souvent commence directement ses tableaux sur place. On le surnomme Il Furioso ou Il Terribile.

Il utilise des maquettes de scènes de théâtre et il fabrique de petites figurines en cire qu’il modèle et examine sous toutes les coutures pour constater les ombres et les lumières, les statures des corps, les positions relatives.

Il fera ainsi toute sa vie.

En 1547 il s’installe à Cannaregio dans cette maison sur la Fondamenta dei Mori. Sa plaque est toujours présente sur la façade, avec son Hercule et sa massue.

Hormis les commandes pour la noblesse, il peint surtout des scènes mythologiques ou chrétiennes, particulièrement dans les églises de Venise. J’en compte 24. C'est le Tintoret dans les églises de Venise que ce récit va présenter.

Un deuxième récit sera consacré à la visite de la Scuola San Rocco avec la rocambolesque aventure du Tintoret pour s’imposer comme le peintre unique de toutes les salles de la Scuola, et aussi au palais des Doges avec l’immense toile du Paradis, ainsi qu'à l’Accademia.

On visitera les églises une à une et par sestière, plutôt que de faire une description chronologique des œuvres du Tintoret présentes à Venise.

NOTEZ BIEN : sur presque chaque tableau, il y a des surprises étonnantes ! Je vous demanderai de découvrir la partie surprenante que le Tintoret a glissée volontairement et qui ne se voit pas immédiatement.


Où voir des Tintoret ailleurs ?

Le Tintoret est aussi présent dans le monde entier :

  • Paris (Louvre), Paris (St François Xavier), Caen (MBA), Nancy (MBA), Strasbourg (MBA), Besançon (MBA), Narbonne (Art et Histoire), Nantes (MBA),

  • Florence (Offices), Florence (Pitti), Milan (pinacothèque Sforzesco), Milan (Brera),

  • Londres (National Gallery), Londres (Courtauld institute), et aussi :

  • New York, Hartford, Amsterdam (Rijksmuseum), Newark (Coll Alana), Munich (Alte Pinacothek), Vienne (Kunsthistorisches Museum), Madrid (Prado), Gand (MBA), Dresde (Gemäldegalerie Alte Meister), Korçula (Croatie, cathédrale St Marc) Hvar (pieta), St Pétersbourg (Ermitage), Poznan (musée national), Bucarest, Berlin, etc.

Mais aussi … A Lyon au Musée des Beaux-Arts, avec 2 tableaux

La Vierge, Sainte Catherine et les Saints Augustin, Marc, et Jean Baptiste, 1545, très classique.

Mais SURPRISE ?

Avez-vous remarqué comment il a peint le lion de Marc en touffe de poils informe ??

Danaé et la pluie d'or

L'histoire : le roi d'Argos Acrisios, marié à Eurydice, enferme sa fille, suite à une prédiction d'un oracle, dans une tour d'airain close par d'épais barreaux au sommet, pour qu'elle n'ait pas d'enfant qui deviendrait son parricide.

Thème classique oedipien …

Mais Zeus se transforme en pluie de pièces d'or, traverse les barreaux, et conçoit avec elle un fils, Persée.

La prophétie, comme pour Œdipe, se réalisera : lors d'un tournoi, Persée rate sa cible et touche mortellement son grand père spectateur.

La SURPRISE dans ce tableau ?

Danae est dans un magnifique salon avec de belles ouvertures donnant sur la campagne alors qu'elle est censée être enfermée dans sa tour.

Le Tintoret à Dorsoduro

Dorsoduro est le sestiere le plus à l’ouest. Très peu de monde à part les locaux avec leur rame ou leur panier de commissions. Le calme absolu, et plein de découvertes à faire, allez voir mes balades sur mon site web.

Des canaux et des palais magnifiques, une jardinerie à visiter, la seule à Venise, des façades ésotériques, bref une ambiance minérale et sereine qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

On y trouve Le Tintoret dans Madonna dell Orto, Sans Felice sur la Strada Nova, et San Marcuola sur le Grand Canal.

Santa Madonna dell'Orto

On le trouve d'abord à Santa Madonna del Orto ("SON" église, puisqu'il a tout fait dedans hormis quelques toiles, à San Marcuola, et à San Felice.

Son père habitait tout près, et lui-même s'installe en 1547 sur la fondamenta dei Mori dans la maison qu'on a vue, à moins de 100m de cette église.

Créée en 1377 pour abriter une statuette de Marie miraculeusement tombée dans le jardin d'un sculpteur, elle est refaite en 1399, terminée en 1476. La façade remarquable date de 1464, Le Tintoret en décore tout l'intérieur.

A voir aussi sans faute : la tombe des Tintoret, la sacristie avec la petite statue, le cloître si ouvert.

En 1552 il peint l'orgue de l'église, dont il nous reste un pan et 2 vantaux exposés ici. Plus tard vers 1560, concurrencé par son rival Véronèse sur des commandes importantes, il approche les chanoines de l'église et leur propose 2 toiles gigantesques.

Présentation de Marie au Temple

(nef droite au fond près de sa tombe, mal éclairée mais extraordinaire)

Pour moi c'est un chef d'œuvre absolu, avec une composition typique du peintre. On est en contre plongée, et les personnages, principaux sont dans un cône de lumière courbé.

DETAIL SURPRENANT ??

L'escalier possède 15 marches, c'est une référence aux 15 psaumes 120 à 134 que récitaient les pèlerins montant à Jérusalem.

Sur la gauche dans l'ombre, les voleurs, les estropiés, les Pharisiens qui assistent subjugués au spectacle.

Marie est née de Joachim et Anne, parents alors très âgés, mais un ange leur apparut et ils purent concevoir une fille.

Son parcours n'est pas dans le Nouveau Testament, mais dans le protoévangile de Jacques au 2ème siècle, d'où la vénération pour Marie est née. En 431 le concile d’Ephèse la définit comme mère de Dieu. Toute église a une statue de Marie.

Elle ira croissante avec plein de légendes sur sa vie, presque toutes inventées mais nécessaires pour assoir son culte dans la religion chrétienne.

Juste pour comparer, voici la Présentation de Marie par Le Titien de 1534.

Ca n'a rien à voir, c'est plus léché, mais assez froid.

Revenons à Madonna dell'Orto.

Au premier plan, au centre, une femme et son enfant montrent l'escalier.

SURPRISE ??

Ce n'est ni Anne ni Marie. On dit que c'est sa femme Faustine et sa fille Marietta, peintre aussi très talentueuse et morte jeune à 45 ans. Les Robusti eurent 8 enfants, en plus de Domenico son fils adultérin qui l'a assisté dans ses oeuvres et a lui-même peint quantité de tableaux aussi

Noter la position de Marie, tout en haut perdue dans ce décor grandiose et ces personnages. C’est une invention typique aussi du Tintoret qui souvent placera le personnage principal ailleurs qu'au centre comme l'art classique le faisait (on le verra encore mieux dans le Lavement des pieds plus loin).

Marie se trouve donc tout en haut, éclairée, devant le Grand Prêtre Zaccharie, et l'obélisque symbolise l'Orient.

Noter le ciel blanc puis marron, les couleurs franches, parfois acides et les contrastes violents.

Tout au fond, on pense que le vieillard qui assiste à la scène est son père Joachim.

Le chœur

A droite du choeur, le Jugement Dernier, avec une foule de personnages dans toutes les positions, un désordre incroyable, comme avec Michel Ange à la Sixtine, mais il y a plus de mouvement. On retrouve les classiques de Michel Ange, du Titien ou de bien d’autres (voir la mosaïque incroyable à Torcello dans Santa Maria Assunta.

Le Christ et les Elus en haut qui font le tri en pesant les âmes, à droite la descente aux enfers, à gauche les humains jugés bons montant du Purgatoire, en bas l’enfer et les diables.

Le tableau fait plus de 14 mètres de hauteur.

Curieux : on le date de 1559-1560, d’autres rapportent 1562-1564, et d’autres 1544 !!

Le choeur

Dans le chœur derrière l'autel, au centre une Annonciation de Palma le Jeune, de chaque côté Saint Paul, et Saint Pierre peints par le Tintoret (ils faisaient partie des battants de l'orgue).Et on devine sur les côtés les 2 immenses tableaux.

Coupole du choeur

En haut, au centre la Foi de Pietro Ricci (l'une des 3 Vertus théologales avec l’Espérance et la Charité), et du Tintoret les 4 Vertus cardinales (définies par Platon et Aristote puis Cicéron, et reprises par les Chrétiens), l’ensemble peint en grisailles superbes.

A droite la Force d’âme (glaive) et la Prudence (miroir et serpent).

A gauche, la Justice (balance) et la Tempérance (2 récipients avec l'eau coulant de l'un à l'autre).

Ces femmes magnifiques sont étirées, tordues, très dynamiques, à la mode maniériste.

Le Tintoret avait un don extraordinaire pour peindre les femmes, il en mettra partout même dans des lieux improbables comme la Cène !

A gauche, le Veau d'or

Noter les contrastes violents entre ombre et lumière,

et la femme en bleu dont le corps est étiré et courbe, qui doit mesurer plus de 2 mètres.

SURPRISE ?? Coquin, le Tintoret s'est représenté en porteur du Veau d'or, devant cette femme, et les autres pourraient être Giorgione, Le Titien et Véronèse.

On compte (selon les spécialistes) 10 scènes différentes ajustées dans le tableau.

SURPRISE ?? Cette scène étonnante des femmes superbement habillées (en plein désert !!!) et alanguies sous une tente. Elles regardent passer le Veau d’Or d'un air distrait, et le défilé infini des Juifs derrière et reniant leur Dieu.

Il y a bien d'autres tableaux du Tintoret, et aussi de son fils adultérin Domenico qui l'a longtemps assisté, avec un style semblable mais plus léché. Un exemple :

Détail du Miracle de Saint Agnès (1577)

Son histoire est un grand classique : jeune chrétienne romaine elle est courtisée par le fils du préfet de Rome, qui lui ordonne de se convertir aux dieux païens. Refusant bien sûr, elle est dénudée et envoyée dans un lupanar pour être livrée à la prostitution, mais des cheveux lui poussent sur tout le corps.

Un ange transforme le lupanar en lieu de prière. Le fils amoureux arrive mais un démon l'étrangle.

Alors Sainte Agnès ressuscite le fils sous les yeux du Préfet accouru.

Le préfet toujours en rage ordonne qu'elle soit brulée, mais ce sont les bourreaux qui prennent feu. Elle est ensuite égorgée, fin (303)

Je ne peux pas montrer tout ce qu'a peint le Tintoret ici, avec l'assistance de son fils Domenico, mais on est bien dans l'église du peintre.

San Felice

Quittons Madonna dell Orto pour San Felice, sur la strada Nova (grande rue large qui relie la gare au Rialto).

Elle a été pillée par Napoléon, (dont une Cène qui est restée au Louvre) et ce qu'on y trouve provient d'ailleurs mais elle vaut le coup.


Un seul tableau y est resté, qui représente Demetrius, un militaire Grec de Salonique.

SURPRISE ??

Le Tintoret l'a vêtu en Romain avec son armure, dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu'il a été persécuté pour prosélytisme chrétien.

Dans ce tableau de 1545, on y voit comme souvent le commanditaire Zuan Guisi.

Les Gesuati

L'église des Gesuiti est un joyau extraordinaire, recouvert de marbre de bas en haut, il ne faut pas la rater car elle est très différente des autres églises.

Elle se trouve près de Fondamenta Nove au nord de la ville.

Ici le tapis qui recouvre le sol en marbre est en marbre.

Là les voilages de la chaire sont aussi tout en marbre.

Le Tintoret y a peint une Assomption assez classique, mais de toute beauté (1555).

San Marcuola

San Marcuola, c‘est aussi l'arrêt du vaporetto 1, pratique. Très belle église bien entretenue, même si on n'a jamais pu terminer la façade de plaques de pierre d'Istrie (comme beaucoup d'autres d'ailleurs)

San Marcuola est une plaie pour les photographes, les permanents qui l'entretiennent interdisent les photos et sont sur notre dos en permanence, mais heureusement on a des astuces si on est deux (l’un prend une photo ouvertement, ils lui foncent dessus, pendant ce temps l'autre peut en faire une autre (mais c'est chaud).

On y trouve une Cène (une œuvre de jeunesse de 1547), considérée comme un de ses premiers chefs d'œuvre.

Le Lavement des pieds

Grand tableau de 5,33m par 2,28m. Mais c'est une copie, l'original est au Prado. Le Christ lave les pieds d'un apôtre. (image wikipedia)

Vous voyez où il est ? Tout à droite.

SURPRISE ?? Bien au centre et au premier plan, un chien. Un clin d'œil au peintre Bassano (il l'a placé dans d'autres tableaux).

Ailleurs, des apôtres à peine concernés.

Un se fait enlever ses bottes.

Un autre sèche ses pieds.

Un autre est contre un pilier et se désintéresse totalement de l'évènement !

Castello

Passons au sestiere de Castello (est de Venise), mon sestiere favori avec Cannaregio


San Zaccharia

Ne pas rater la crypte remplie d'eau et les magnifiques retables dans la sacristie !

A San Zaccharia, il a peint une Naissance de Jean Baptiste (et une autre qui est au Musée de l'Ermitage à Saint Petersbourg).

Naissance de Jean Baptiste

Sur le devant de la scène on voit bien les sages femmes et infirmières, et très mal le petit Jean Baptiste.

L'ange qui illumine cette conception est perdu dans un tourbillon lumineux, on ne voit que son bras droit.

SURPRISE ??

Pire, les parents Elisabeth et Zacharie sont relégués en haut à gauche ! Et Zacharie le père est presque en dehors du tableau, à peine visible ! C'est tout Tintoret …

San Marco

Dans le sestiere de San Marco, on trouve du Tintoret en 5 endroits : SM del Giglio, San Stefano, San Zulian, San Moïsé, San Giorgio Maggiore. Je ne compte pas le palais des Doges bien sûr.


Santa Maria del Giglio

Superbe église Santa Maria del Giglio (du Lys), refaite en 1778 avec une façade remplie des statues de la famille Barbaro qui a occupé des postes prestigieux dans la République, ...

mais aussi décorée de plaques illustrant les villes conquises par Venise (Zara ou Zadar, Herakleion, Corfou, Rome, Padoue, Split), et de navires de guerre vénitiens.Tout à gauche, le kiosque en bois est ce qui reste du campanile détruit en 1774 (trop penché).

On admirera les Sibylles sur la contre façade, les Palma le Jeune et les statues de Gian Maria Morlaiter.

Et aussi le seul Rubens de Venise, du 17ème siècle, de la chapelle de droite aux reliques, représentant la Madone avec Jésus et Jean Baptiste.

Au plafond de la chapelle, une Madone à l'enfant du Tintoret, mais cela ne vaut pas le Rubens.

Le Tintoret y a peint aussi en 1552 les quatre Evangélistes, ici Jean (l’aigle) et Marc (lion).

Le tétramorphe selon le Tintoret est représenté de façon hallucinante.


SURPRISES ??

Le lion est derrière Marc à peine esquissé, aussi touffu qu'au MBA (dans le tableau de Sainte Catherine).

Quant à l’aigle, il est peut-être à droite de la tête de Jean.


Sur l'autre panneau, Matthieu (avec l’homme ou l’ange, bien visible.

(mais derrière l'ange on distingue une silhouette étrange).

et Luc (le taureau, totalement au bord gauche avec une corne et un museau noir !).

On voit encore mieux la rapidité du peintre sur les plis de la chasuble de Luc, simples traits rosés ou sombres.

San Moisé

Tout près de la Piazza, San Moise (1668) est ainsi nommé aussi pour Moïse Venier et la famille présente sur la façade. Elle se distingue par son immense maître-autel sculpté de Heinrich Meyrin représentant Moïse recevant les tables de la Loi, le tout très laid.

On trouve le Lavement des Pieds du Tintoret, avec le même positionnement de Jésus tout à droite à l'arrière-plan alors que le reste du tableau est encombré d’une foule de gens.

San Giorgio Maggiore

Je ne vous dis pas où elle se trouve…

On y trouve au moins 4 tableaux du Tintoret.

Un Saint Etienne, premier martyr de la chrétienté (bizarre car c’était un pur juif qui a soit disant blasphémé en prononçant le nom de Dieu), et qui finit dilapidé. Le Tintoret s'est bien amusé avec les cailloux !

Dans le choeur on y trouve :

La descente de la Manne (1588 ou 1593), le Tintoret est proche de sa mort mais continue à peindre.

SURPRISE ??

Ca devrait se passer en plein désert, avec des Juifs épuisés et affamés puisque Dieu leur envoie de la nourriture, mais ici on voit une grande activité et de beaux habits.


Une Cène, de 1592, presque païenne, très sombre et brouillonne, avec un monde pas possible, Jésus se demande ce qu’il fait là, franchement, le Tintoret parfois exagérait. On est loin de Léonard de Vinci.

Ma photo n’étant pas réussie je montre celle de Wikipedia …


San Stefano

Je vous ai déjà parlé du campo San Stefano où on peut voir des traces rondes sur les pavés dues aux mortiers servant à fabriquer la thériaque, ce remède miracle aux 65 ingrédients. Ces pavés ont plus de 700 ans !

L’église a le chœur qui se situe exactement au-dessus d’un rio souterrain visible du campo Sant’Angelo derrière.

On y retrouve 2 toiles du Tintoret sur des thèmes déjà vus.

Une Cène de 1579, avec moins de monde que précédemment,

SURPRISE ??

Les Apôtres aux tenues bariolées ont l’air plus ou moins avinés. La vérité est que leur excitation se déroule non pas lors de la célébration du pain et du vin, qui a lieu plus tard, mais au moment où Jésus leur annonce que l’un d’eux va le trahir et le livrer. Ils ont pris de stupeur et se questionnent frénétiquement pour savoir qui a trahi.

Et le Christ se trouve en bout de table !!

Et le chien pile au centre.

Autant le Tintoret savait être sérieux, autant il a réussi des coups audacieux avec des toiles religieuses remplies de gags et de surprises.

On peut aussi voir le Lavement des Pieds, avec des Apôtres plus concernés qu’auparavant, mais on ne voit pas vraiment de pieds !!

San Zulian

A San Zulian, avec la façade dédiée au Sieur Rangone qui l'a financée, riche commerçant ayant fait fortune dans une potion contre la syphilis, et qui a sponsorisé le

Tintoret dans le fameux tableau de l’enlèvement de Saint Marc à Alexandrie, on trouve encore La Cène (1579).

Le Tintoret était littéralement subjugué par cet épisode de la vie du Christ, et en a peint des dizaines.

En fait ce tableau pourrait être de l’école du Véronèse. Si c’est le cas, cela confirme les ressemblances des peintures de l’époque basé sur le maniérisme.

Dorsoduro

A Dorsoduro, nous trouvons SM de la Salute, les Gesuati, San Trovaso et SM dei Carmini.

Sans compter les nombreux tableaux résidant à l’Accademia.

Les Carmini

L’église des Carmini se trouve près du Campo Santa Margherita.

Ne ratez pas la magnifique Scuola juste à côté, et le petit jardin derrière avec une belle vue du campanile qu'on voit de loin.


Le Tintoret a peint une Déposition très laide où le Christ "déposé" de la croix est au-dessus de la tête de Saint Dominique, très bizarre. Sans doute une commande aux ordres très précis des religieux.

Et aussi une Présentation de Jésus au Temple (1541), pas très emballante non plus.

Les Gesuati

L'église des Gesuati (Santa Maria del Rosario), sur les Zattere, est une superbe église au magnifique plafond de GB Tiepolo en trois volets (la descente du Rosaire, 1738). La façade est décorée des 4 vertus cardinales, et l'intérieur, en baroque vénitien, est remplie de magnifiques statues de Gian Maria Morlaiter.

La Crucifixion

Tableau réalisé vers 1565 et remis dans l'église rénovée en 1743 après une restauration maladroite du Piazzetta jugée maladroite.

SURPRISE ??

Il a peint 5 femmes au pied de la Croix : en fait il semble qu'elles étaient trois : Marie sa mère, une autre Marie de Clopas sa sœur, et Marie-Madeleine, toujours en pâmoison. En tous cas leurs toilettes sont magnifiques !

Mais on ne sait pas comment il en a trouvé 2 de plus.

La Salute

A la Salute, on trouve dans la sacristie Les noces de Cana où Jésus a changé l'eau en vin (1561).

Belle toile assez minutieuse pour Jacopo Robusti. Une copie est visible au Louvre.


Le peintre en a fait bien d'autres, sous des angles différents, sans doute pour embêter Véronèse qui lui aussi en a fait beaucoup

(dont une immense qui est au Louvre emportée par Napoléon, avec une copie à la fondation Cini de San Giorgio Maggiore.

San Trovaso

San Trovaso est une église à 2 entrées pour permettre aux clans ennemis (Arsenalotti de Castello et Nicolotti de San Nicolo dei Mendicoli), d'entrer sans s'écharper. En effet, ils se mesuraient dans des combats bien réglés sur les ponts (sans balustrade évidemment, voir le Ponte dei Pugni le bien nommé au rio San Barnaba).

La Cène

Une Cène hallucinante du Tintoret (ce n'est pas la seule).

Chaise renversée de Judas s'enfuyant avec une énorme bourse

Jean à gauche de Jésus (on le place en général à sa droite),

Pagaille totale autour de la table.

On ne comprend pas mais cela marque les esprits !

San Polo

A San Polo, le Tintoret est présent à San Cassiano, San Giovanni Elemosinario, San Silvestro, San Polo, San Rocco, et la Scuola di San Rocco à côté contenant plus de 100 peintures.

San Cassiano

San Cassiano est une église incontournable à Venise. Calme, haute de plafond avec des fresques magnifiques, une sacristie extraordinaire, on peut y passer une bonne heure.

La chapelle à gauche du chœur contient 3 toiles du Tintoret.

La Résurrection

La Résurrection avec Saint Cassien et Sainte Cécile (1575), derrière l'autel, difficile à voir, mais

SURPRISE ??

Le Christ plane vers le ciel un peu en diagonale, en totale contradiction avec le Concile de Trente (fini en 1563) ayant exigé à l'époque de le représenter vertical. Le Tintoret le savait !

La Crucifixion (1568), vue de profil, considérée comme un des meilleurs chefs d'œuvre du peintre (personnellement je ne trouve pas du tout).

Le Christ aux Limbes

A droite le Christ aux Limbes (le royaume des Morts), de la même année, accueilli par Adam, et avec une Eve jugée très sexy à l’époque.

San Giovanni Elemosinario

A San Giovanni Elemosinario (pas loin du Rialto, Ruga Ravano, on ne voit que la grille de l’entrée) et San Giovanni Evangelista (plus loin mais avec sa magnifique Scuola), on trouve des toiles de Domenico son fils qui l'a longtemps assisté dans son atelier.

A San Il y a un portrait du Doge Grimani et de la dogaresse Morosina Morosini (non montré ici), entourés des mécènes, la Confrérie des Poulardiers (l'église est proche du Rialto et des Beccarie, le marché des bouchers maintenant dédié aux poissonniers (la Pescheria).

San Giovanni Evangelista

A San Giovanni Evangelista (ne pas rater la Scuola en face), une Crucifixion, où on voit que le style de Domenico est légèrement différent de celui de son père (plus précis).

San Polo

A San Polo, il faut d'abord voir le narthex et la série de tableaux magnifiques illustrant la Via Crucis de Gian Domenico Tiepolo (fils de Gian Battista Tiepolo le fameux Védutiste) décrivant la passion du Christ.

La Cène

On peut aussi y voir (encore) une Cène ultra brouillonne, avec Jésus debout pas très calme et des apôtres toujours très indisciplinés. .

Le Tintoret joue avec la lumière et les contrastes, les corps sont étirés, le maniérisme est bien là.


San Rocco

San Rocco subit la concurrence de la Scuola juste à côté, mais elle contient plein de chefs d'œuvre, dont de nombreux Tintoret qui ont fait sa réputation.

Entre autres,

La guérison du paralytique.


Saint Roch guérissant les pestiférés.

Santa Maria Mater Domini (Santa Croce)

A Santa Croce, Santa Maria Mater Domini, toute petite église au coin d'un carrefour, presque invisible, avec une Invention de la Croix et une Sainte Hélène plantureuse.

Et encore ...

San Silvestro à San Polo.


A Murano, église San Pietro avec le baptême du Christ.

Pour finir, un autoportrait du Tintoret de 1588, il a 70 ans mais continuera jusqu'à sa mort le 31 mai 1594.

Il aura travaillé toute sa vie comme un forcené, imposant son style tout en luttant contre ses concurrents et détracteurs.